Aujourd'hui, on va voyager. En effet, on va voyager dans le désert puisque c'est là qu'est né l'idée qu'a eu un jour Marius de la société SAS minimum pour utiliser le déchet en tant que matière première.
Bonjour Marius, est-ce que tu peux te présenter en quelques mots ?
Alors je m'appelle Marius, je suis président et co-fondateur de la société SAS minimum. Je suis architecte de formation et chez SAS minimum, on travaille à produire des matériaux fabriqués à partir de déchets pour le secteur du bâtiment, en essayant de développer 3 types de valeurs : social, économique et environnemental, sans faire de compromis entre l'une ou l'autre.
De la bouteille de shampoing au plan de travail : un matériau nouvelle génération
Et grâce à ces valeurs, tu as imaginé et créé un matériau qui s'appelle Le Pavé. Concrètement, qu'est-ce que tu peux nous en dire et quelles sont ses usages ?
Alors Le Pavé, c'est notre premier matériau, il est fabriqué à partir de 100 % de déchets plastiques de type PED. Le PED c'est le petit sigle dans le triangle où il y a 1-2 à l'intérieur, qui va majoritairement être utilisé dans la cosmétique, l'alimentaire, ou en tant que bouteille de shampoing. Donc on travaille à partir de ce déchet là qu'on récupère en France, qu'on transforme dans notre usine d'Aubervilliers sous forme de panneaux, et ces panneaux vont avoir exactement les mêmes propriétés que celles que vous auriez pu retrouver sur une bouteille de shampoing : ça va être résistant à l'eau, aux agents chimiques, anti tâches, agréables au toucher et donc ça va permettre de faire des panneaux qui vont être utilisés un peu partout dans le secteur de l'aménagement, de l'ameublement, sous forme de table, de crédence, de plan de travail, de revêtements de murs, de douche... ou alors de projets mobiliers, et notamment la réalisation des sièges pour les JO de 2024 qu'on réalise à Paris.
Je découvre cette nouvelle, c'est top. Et donc il y a aussi un effet de travail de la matière qui se rapproche du bois, si je ne dis pas de bêtises ?
Exactement. En fait ce matériau là, il est intéressant pour l'impact environnemental, mais finalement, ça, c'est, je dirais, une constante qui devrait être présente dans tous les produits. Il est surtout intéressant à ce qu'il intègre cette constante, mais en fait il va être facile à travailler et il va se travailler un peu comme le bois. Et tout en ayant les possibilités de thermoformage du plastique. Je m'explique : il suffit juste de prendre n'importe quelle scie, que ce soit à la main ou une commande numérique, et vous allez être en mesure de découper notre matériau Le Pavé pour votre projet. Il va pouvoir se poncer pour avoir un aspect plus ou moins rugueux, pour aller jusqu'à quelque chose de très brillant. Et si vous êtes un peu inventif, ou que vous avez des outils, notamment des thermoformeuses ou des choses qui seraient utilisées pour des matériaux de synthèse, vous allez être en capacité de former des vasques, des sièges, faire du cintrage pour réaliser des lampes et c'est ça qui est passionnant aujourd'hui. C'est que nous, on fait un peu la pierre angulaire entre le monde des déchets et celui du bâtiment. Ce qu'on propose finalement, ce n'est qu'un panneau, mais par contre ce panneau, c'est un potentiel d'écoconception que les concepteurs, que sont les architectes mais également les artisans qui sont les faiseurs, vont s'approprier pour développer une multitude d'applications. Nous, aujourd'hui, chaque semaine, on est ultra surpris. On a un petit channel sur notre slack qui s'appelle "projet" où on shoote un peu toutes les photos et tous les feedbacks qu'on a de nos partenaires et chaque semaine, on s'émerveille sur les applications incroyables qui sont faites du matériau.
Oui, parce qu'en plus, il me semble que vous avez développé pas mal de partenariats, si je ne dis pas de bêtises ? Parce que ne serait-ce que sur la dernière visite que j'ai faite sur Maison&Objet, dans le pôle éco-conception, on vous retrouvait quasiment partout. C'est ça qui est génial, en fait. Vous avez plusieurs finitions existantes et chacune des marques se l'est appropriée pour faire des plateaux de bureaux, des objets, des pieds, etc.
Ouais en fait depuis le départ en effet, on fait énormément de collaboration. L'objectif c'est d'aller extrêmement vite par rapport à tous les enjeux environnementaux auxquels on fait face. Il y a les accords de Paris dont l'objectif est de diminuer les émissions de CO2 de moins 55 % d'ici 2032. C'est demain ! Si tu veux refaire ta cuisine, il va te falloir un an, là on a 8 ans pour réinventer tout un secteur et la manière dont on fonctionne, et on est persuadé que si on veut aller vite et bien, il faut savoir se spécialiser, se positionner. Et capitaliser sur le savoir-faire des autres. Et donc on capitalise sur le savoir-faire des autres en considérant, en le respectant et en essayant de rentrer dans une dynamique d'économie circulaire. Tu l'as vu lors de Maison&Objet parce qu'on était présent sur plein de stands, et des personnes qui s'approprient le matériau et développent leur propre business à partir de notre produit. Mais c'est également vrai au niveau des recycleurs, des collectivités ou des personnes avec lesquelles on va travailler dans le sens où c'est pas parce que c'est du déchet que l'on doit capter la matière gratuitement. Au contraire. En fait, on doit se donner la possibilité de respecter le modèle économique de chacun des acteurs avec lesquels on interagit pour pouvoir se donner les moyens de rentrer dans quelque chose de beaucoup plus durable et dynamique pour changer très rapidement les choses le plus rapidement possible.
Le matériau en plastique recyclé : une idée venue du désert
Alors si on doit faire un petit bond dans le temps, comment t'es venue cette idée ? Parce qu'il me semble que c'est né dans le désert. Est-ce que tu peux nous en dire un petit peu plus ?
Ouais, c'est ça exactement. Donc l'idée est venue lors de ma dernière année d'étude à l'école d'Archi de Versailles. Il y a en fait une entreprise qui nous avait contacté, qui avait contacté l'école avec l'objectif de construire un campus éco-responsable en plein milieu du désert du Turkana. La petite contrainte, c'est que, en fait, le budget était proche de 0.
Donc c'était un campus qui devait être pour 250 personnes, il y avait, je pense, 150 000 € de budget (c'est même pas le budget nécessaire pour faire une maison donc ça aurait pu être problématique si on avait été dans le concret). On a eu la chance d'être en étude et donc en fait on a décidé de totalement embrasser cette double contrainte de se dire comment on fait du durable à partir de rien et donc on a de manière très spontanée, regardé autour de ce désert et autour de ce lieu qui était quand même assez impressionnant et difficile en termes de condition, (c'est pas forcément le truc le plus intuitif) et on a réalisé que la chose la plus proche, ce qu'il y avait de plus proche de ce site, c'était pas une ville, mais c'était une décharge et une des plus grosses décharges d'Afrique.
Et donc à partir de là on s'est dit "putain bingo". En fait, construire avec du rien, c'est ce que ça serait construire avec du déchet. Et qu'est-ce que le déchet ? Et pourquoi c'est du déchet ? Et on a questionné cette matérialité sous exploitée, en expérimentant d'une manière ultra spontanée. On a commencé à faire les poubelles et à chercher plein d'utilisations pour les différents déchets qu'on trouvait dans nos poubelles et à ce moment-là, il y avait énormément de bashing aussi sur le plastique. Et comme tous les jours on est confronté aux dégâts apportés par les déchets sur notre environnement et notamment les déchets plastiques, hein, je ne vais pas ressortir toutes les statistiques qui font super peur : l'équivalent de la carte bleue que tu manges chaque semaine, ou les 7 milliards de tonnes qui sont déjà dans la nature... Mais bref, plutôt que de nous faire peur, ça nous a vraiment invité à nous engager, à essayer de voir si cette matière qui pose tant problème, qui est le plastique, qui est un déchet, qui est un peu l'archétype du déchet, pourrait être à venir un nouveau matériau et une réponse justement à ce double enjeu de se dire, on a besoin de faire de l'éco-responsable, on a besoin de faire du durable, mais on veut aussi du sensé et de l'abordable.
La filière déchet a le vent en poupe pour les éco-matériaux
C'est une belle histoire en tout cas. Aujourd'hui, la filière déchets, on voit qu'elle se débloque pas mal en France. Petite question d'ailleurs : est-ce que tu es directement en contact avec des sociétés génératrices de déchets, donc directement les industriels qui vont être en direct avec toi pour te vendre leurs déchets ? Est-ce qu'il existe des réseaux de gestion de déchets plus complexes en France ? Comment ça se passe concrètement ?
Alors aujourd'hui ça fait une grosse partie du travail qu'on effectue chaque jour. Ce qui est passionnant, c'est que quand on parle de déchets, on parle d'une ressource qui va être par essence sous valorisée et très souvent parce qu'aléatoire et à partir du moment où tu veux adresser une solution pour le bâtiment qui soit à l'échelle du bâtiment, donc plusieurs centaines ou dizaines de milliers de mètres carrés tout en travaillant à partir de matières qui est du déchet, donc aléatoire, on se doit en fait de structurer un peu tout ça et d'essayer de développer une organisation qui est la plus agile possible. En tout cas le plus à l'écoute de tout ce qui se passe dans le monde du déchet et donc oui, en fait aujourd'hui, on est en contact avec une diversité d'acteurs assez importants dans le déchet des industriels producteurs de déchets, des collectivités qui produisent également des déchets, hein. Par contre, on va être en contact avec des éco-organismes qui vont structurer un peu l'écosystème de retraitement des déchets, parfois même être propriétaire des déchets, développer des stratégies sur le long terme pour le retraitement des déchets. On va également être en relation avec des recycleurs qui vont avoir toutes les compétences opérationnelles pour aller collecter et trier ces déchets. Donc d'un point de vue standard, et après il y a aussi les laboratoires avec lesquels on bosse énormément qui nous permettent de certifier la matière et de rétablir une forme de normalisation autour de ces ressources qui sont fluctuantes, pour pouvoir les réintégrer d'une manière sécurisée dans le bâtiment, donc sécurisé au niveau des utilisateurs. Donc il faut que les matériaux qu'on propose soient sains mais sécurisés. Aussi, au niveau des performances, parce qu'il faut aussi répondre à des enjeux d'utilisation qui sont assez importants et ça, c'est vraiment permis par, encore une fois, ce travail d'écosystème et la collaboration qu'on essaie de créer entre tous ces acteurs : à la fois ceux qui produisent, ceux qui retraitent et ceux qui vérifient.
OK, et alors, justement mon côté idéaliste me pousserait à me demander s'il n'y a pas un risque à moyen long terme que, parce que le déchet est de plus en plus valorisé partout en France, que ta matière première qui est en fait le déchet d'autres industriels, devient un peu plus rare. Est-ce qu'en effet, c'est idéaliste ou est-ce que t'as déjà anticipé ce risque d'une manière ou d'une autre ?
Je ne pense pas que ce soit idéaliste et je pense que chez SAS Minimum, on espère très profondément que ça va arriver et tout le travail qu'on fait chaque jour, c'est justement pour que ça arrive le plus rapidement possible. Après, on part d'assez loin quand même. Aujourd'hui, il y a à peu près 30% des déchets plastiques qui sont valorisés. Ok, dans les statistiques qui sont plutôt optimistes, si je prends le PED qui est le déchet dont on parle pour notre matériau Le Pavé, le gisement du produit chaque année est à peu près de 600 000 tonnes. Donc à 600 000 tonnes de plastique sous forme de déchets qui sont produits chaque année. Et sur ces 600 000 il y en a à peu près 150 000 qui vont être conservés en vue d'être recyclés. Puis à la fin, uniquement 60 000 qui seront réellement recyclés et transformés en France. Donc en fait un gap qui est assez colossal et un premier gap qui est de 450 000 tonnes et nous avec 1000 tonnes, on fait 100 000 m². Donc si tu veux transposer ça dans le secteur du bâtiment, le potentiel ou en tout cas le gisement disponible, il est assez considérable, mais par contre dès le départ on souhaite anticiper la disparition du déchet. Et nous, ce qu'on essaie de faire aussi par la forme d'industrie qu'on développe, c'est de sortir le déchet de son statut de déchet. C'est un déchet parce qu'il est délaissé, il est abject, on ne veut pas le voir, c'est un détritus... nous, on essaie de transformer tout ça et de voir dans le déchet une ressource, donc je pense qu'on aura réussi quand on ne dira plus "déchets" mais "ressources". Et ensuite, on développe aussi tout un ensemble d'autres matériaux à partir de différents déchets qui vont avoir des applications complémentaires à notre matériau Le Pavé. Donc, soit à partir de déchets, mais également à partir de fibres biosourcées. Et on espère que dans dix ans, notre gamme de matériaux, notre portefeuille de matériaux qu'on est en train de développer aujourd'hui, qu'on n'aura plus aucun produit à partir de déchets, mais on aura accompagné, je l'espère, le secteur du bâtiment vers sa transition en proposant des matériaux qui vont être biosourcés.
C'était justement ma prochaine question, je me demandais si Le Pavé avait déjà un petit frère en route, mais tu viens d'y répondre, donc ça c'est top. Et alors Le Pavé, parce que c'est pour l'instant un peu ton produit fort, celui qui en tout cas est vraiment sur le marché de l'aménagement, aujourd'hui qu'on connaît de plus en plus en tant qu'archi d'intérieur décorateur. Est-ce qu'il y a une place encore inoccupée qui te fait de l'œil pour utiliser Le Pavé justement ? Peut être avec les différentes collab' que tu peux avoir avec les designers, les marques qui osent aussi s'en servir d'une manière qui n'a pas encore été exploitée jusqu'à maintenant et qui te permet finalement de découvrir chaque jour ? Est-ce qu'il y a encore un projet qui te fait rêver pour Le Pavé ?
Alors, franchement il n'y en a pas qu'un et pour le coup je peux citer ce qui est sorti la semaine dernière et ce qui ce qui m'impressionne franchement et c'est trop cool de voir ça. Après 4 ans de développement, c'est des vasques thermoformées à partir de notre matériau qui vont concurrencer aussi des matériaux de synthèse qui sont très peu vertueux d'un point de vue environnemental. Et ça fonctionne. Je trouve que l'application est vraiment géniale et ensuite notre objectif ça va être de donner la possibilité au matériel Le Pavé de continuer de trouver sa place grâce à tous ces architectes, concepteurs, ces designers, ces artisans qui s'engagent autour de sa mise en œuvre. Et pour accompagner tout ça, on a prévu l'ouverture d'une prochaine usine qui va nous permettre de produire des panneaux beaucoup plus grands. Aujourd'hui, nos plaques, elles font 140 centimètres par 90, donc ce qui cantonne un peu l'utilisation du matériau, du mobilier, de l'objet, etc. Là ces plaques de 3m x 1,20m vont nous permettre de passer une nouvelle échelle. Je crois beaucoup aussi dans les revêtements de façade, on en a fait quelques-uns, ça fonctionne selon les utilisations. Il y a les sièges pour la piscine olympique qu'on est en train de réaliser, ils seront mis en place en avril. Je pense qu'on aura une petite larme à l'œil, quand on sera au milieu et qu'on verra ces 3000 puis ces 8000 sièges dans l'atrium. Donc voilà, on se fait surprendre et l'objectif c'est d'accompagner en essayant de devenir les meilleurs sur la transformation du matériau de jour en jour. Donc je parlais de la taille, il va y avoir aussi des nouveautés au niveau des aspects de surface, qui vont permettre d'avoir quelque chose d'un tout petit peu plus brillant dès le départ, en limitant les étapes de ponçage ou ce genre de choses. On y travaille chaque jour et je suis persuadé que ça va ouvrir encore plein de nouvelles possibilités.
Bravo, en tout cas je trouve que c'est un chouette produit. Et justement pour finir et pour conclure sur cet épisode, est-ce que tu as un petit mot pour mes confrères et consœurs archi d'intérieur ? Un message à faire passer ?
Ouais, en fait, je suis moi-même architecte et si on a monté ce projet, c'est vraiment parce qu'on n'avait pas la capacité d'obtenir les matériaux qu'on souhaite avoir. Et si aujourd'hui le matériau est en train de trouver son marché, ses utilisations dont on parlait juste avant, c'est vraiment grâce aux prescripteurs et pas seulement au fait qu'on s'engage pour produire un matériau. Parce qu'en fait, s'il n'y avait que nous avec ce matériau là, il aurait aucune utilisation et c'est vraiment l'engagement de tous les concepteurs qu'on appelle les bâtisseurs de demain, qui permet d'une manière ultra active et proactive de trouver des solutions extrêmement rapides à plein de défis auxquels on fait face. Et il y a 3 ans, on nous avait demandé s'il était possible de réaliser des sièges à partir de nos plaques. On avait aucune idée, mais c'est l'engagement et le travail des architectes avec lesquels on a bossé, le fait qu'ils croient et qu'ils perçoivent le potentiel d'utilisation du matériau qui a permis aujourd'hui de recycler plus de 100 tonnes dans une dynamique d'économie circulaire ultra locale. Donc si j'avais un message à passer, c'est merci pour l'engagement, continuez de vous engager et on espère que ce n'est que le départ. Et on a plein de nouveautés à vous proposer d'ici peu de temps.
Super ! J'espère et je suis sûre que le message passera. En tout cas, merci et bravo Marius pour cet engagement et on ne peut que te souhaiter une bonne continuation dans cette aventure et on a hâte de voir la suite.
Merci beaucoup, merci Coralie.
Retrouvez toutes les infos concernant Le Pavé sur : https://www.sasminimum.com/
Et vous, qu'imagineriez-vous avec cet éco-matériau ?
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